“Le harcèlement moral” de Marie France HirigoyenHarcèlement moral et pervers narcissique ou le double piège du manipulateur !
Marie-France Hirigoyen, psychiatre, psychanalyste et psychothérapeute s’intéresse, dans ce livre, à un sujet répandu dans le quotidien de chacun. Le succès de cet ouvrage auprès du public atteste de la réalité et de la difficulté de subir cette forme de violence perverse qu’est le harcèlement moral.
Ce livre, largement documenté s’appuie sur de nombreux témoignages de victimes, et il permet au lecteur de s’informer pour ne pas rester indifférent à des pratiques sur lesquelles il peut nous arriver de fermer les yeux au nom d’une mauvaise forme de tolérance qui prévaut dans notre culture.
Ce livre peut aider à mieux se connaître, comprendre pourquoi l’on a été victime, avoir une prise de conscience, apprendre à se libérer et à se protéger. Il peut se révéler une aide très précieuse.
Voici quelques extraits du livre de Marie-France Hirigoyen : « Le harcèlement moral ».
Ils culpabilisent à outrance leur proie, ne supportent pas d’avoir tort, sont incapables de discussions ouvertes et constructives ; ils bafouent ouvertement leur victime, n’hésitant pas à la dénigrer, à l’insulter autant que possible sans témoins, sinon ils s’y prennent avec subtilité, par allusions, tout aussi destructrices, mais invisibles aux regards non avertis.>>
Comme les vampires, le Narcisse vide a besoin de se nourrir de la substance de l’autre. Quand il n’y a pas la vie, il faut tenter de se l’approprier ou, si c’est impossible, la détruire pour qu’il n’y ait de vie nulle part.
Les pervers narcissiques sont envahis par un autre dont ils ne peuvent se passer. Cet autre n’est même pas un double, qui aurait une existence, seulement un reflet d’eux-mêmes. D’où la sensation qu’ont les victimes d’être niées dans leur individualité. La victime n’est pas un individu autre, mais seulement un reflet.
Toute situation qui remettrait en question ce système de miroirs, masquant le vide, ne peut qu’entraîner une réaction en chaîne de fureur destructrice.
Ils ne souffrent pas. Ils attaquent en toute impunité car même si, en retour, les partenaires utilisent des défenses perverses, ils ont été choisis pour n’atteindre jamais à la virtuosité qui les protégerait.
Les pervers peuvent se passionner pour une personne, une activité ou une idée, mais ces flambées restent très superficielles. Ils ignorent les véritables sentiments, en particulier les sentiments de tristesse ou de deuil. Les déceptions entraînent chez eux de la colère ou du ressentiment avec un désir de revanche. Cela explique la rage destructrice qui s’empare d’eux lors des séparations. Quand un pervers perçoit une blessure narcissique (défaite, rejet), il ressent un désir illimité d’obtenir une revanche.
Ce n’est pas, comme chez un individu coléreux, une réaction passagère et brouillonne, c’est une rancune inflexible à laquelle le pervers applique toutes ses capacités de raisonnement.
Les pervers, tout comme les paranoïaques, maintiennent une distance affective suffisante pour ne pas s’engager vraiment. L’efficacité de leurs attaques tient au fait que la victime ou l’observateur extérieur n’imaginent pas qu’on puisse être à ce point dépourvu de sollicitude ou de compassion devant la scoquouffrance de l’autre.
Le partenaire n’existe pas en tant que personne mais en tant que support d’une qualité que les pervers essaient de s’approprier. Les pervers se nourrissent de l’énergie de ceux qui subissent leur charme. Ils tentent de s’approprier le narcissisme gratifiant de l’autre en envahissant son territoire psychique.
Passant à côté d’eux-mêmes, ils essaient de détruire le bonheur qui passe près d’eux. Prisonniers de la rigidité de leurs défenses, ils tentent de détruire la liberté. Ne pouvant jouir pleinement de leur corps, ils essaient d’empêcher la jouissance du corps des autres, même chez leurs propres enfants. Etant incapables d’aimer, ils essaient de détruire par cynisme la simplicité d’une relation naturelle.
Il y a chez eux une exacerbation de la fonction critique qui fait qu’ils passent leur temps à critiquer tout et tout le monde. De cette façon, ils se maintiennent dans la toute-puissance :
>>Si les autres sont nuls, je suis forcément meilleur qu’eux. <<
Le moteur du noyau pervers, c’est l’envie, le but de l’appropriation. L’envie est un sentiment de convoitise, d’irritation haineuse à la vue du bonheur, des avantages d’autrui. Il s’agit d’une mentalité d’emblée agressive qui se fonde sur la perception de ce que l’autre possède et dont on est dépourvu. Cette perception est subjective, elle peut même être délirante.
L’envie comporte deux pôles : l’égocentrisme d’une part et la malveillance, avec l’envie de nuire à la personne enviée, d’autre part. Cela présuppose un sentiment d’infériorité vis-à-vis de cette personne, qui possède ce qui est convoité. L’envieux regrette de voir l’autre posséder des biens matériels ou moraux, mais il est plus désireux de les détruire que de les acquérir. S’il les détenait, il ne saurait pas quoi en faire. Il ne dispose pas de ressources pour cela.
Pour combler l’écart qui sépare l’envieux de l’objet de sa convoitise, il suffit d’humilier l’autre, de l’avilir.
Ils cassent tout enthousiasme autour d’eux, cherchent avant tout à démontrer que le monde est mauvais, que les autres sont mauvais, que le partenaire est mauvais. Par leur pessimisme, ils entraînent l’autre dans un registre dépressif pour, ensuite, le lui reprocher.
Le désir de l’autre, sa vitalité, leur montre leurs propres manques. On retrouve là l’envie, commune à bien des êtres humains, du lien privilégié que la mère entretient avec son enfant. C’est pour cela qu’ils choisissent le plus souvent leurs victimes parmi des personnes pleines d’énergie et ayant goût à la vie, comme s’ils cherchaient à s’accaparer un peu de leur force.
L’état d’asservissement, d’assujettissement de leur victime à l’exigence de leur désir, la dépendance qu’ils créent leur fournit des témoignages incontestables de la réalité de leur appropriation.
L’appropriation est la suite logique de l’envie.
Les biens dont il s’agit ici sont rarement des biens matériels. Ce sont des qualités morales, difficiles à voler : joie de vivre, sensibilité, qualités de communication, créativité, dons musicaux ou littéraires…
Lorsque le partenaire émet une idée, les choses se passent de telle façon que l’idée émise ne reste plus la sienne mais devient celle du pervers. Si l’envieux n’était pas aveuglé par la haine, il pourrait, dans une relation d’échange, apprendre comment acquérir un peu de ces dons. Cela suppose une modestie que les pervers n’ont pas.
Les pervers narcissiques s’approprient les passions de l’autre dans la mesure où ils se passionnent pour cet autre ou, plus exactement, ils s’intéressent à cet autre dans la mesure où il est détenteur de quelque chose qui pourrait les passionner.
Il met en doute les qualités, la compétence, la personnalité des autres : il critique sans en avoir l’air, dévalorise et juge.
- Il sème la zizanie et crée la suspicion autour de lui, chez ses proches ou avec ses collègues de travail… peut parfaitement tenir un discours donné avec Mme X et dire exactement le contraire, 3 minutes plus tard avec Mme Y.
Ils ont un total mépris pour toutes lois ou contrainte morales.
Leur morale est, le plus souvent, celle de la morale ou la loi du plus fort et/ou du plus rusé, du plus retors.
Il y a le plus souvent, dans leur comportement, la banalisation du mal, une certaine « relativisation » de la morale, dans le cadre d’un nihilisme opérationnel, qui peut même être militant. Ils n’ont du respect que pour les gens plus forts qu’eux, ayant plus de pouvoir et de richesse ou plus combatifs qu’eux.
Faire preuve d’humanité, de sensibilité est souvent vu par eux comme l’expression d’une forme de naïveté ou de sensiblerie qui n’a pas lieu d’être. Seuls les résultats comptent : « la fin justifie les moyens>>.
Le pervers narcissique n’éprouve aucun respect pour les autres.
Le pervers narcissique est toujours, intérieurement, dans la peau d’un autre, il n’est jamais sincère, toujours menteur. Il peut aussi bien dire la vérité que mentir avec aplomb, d’une façon jusqu’au-boutiste (comme un « arracheur de dent »). Le plus souvent, il effectue de sensibles falsifications de la vérité, qu’on ne peut pas vraiment qualifier de mensonges, et encore moins de constructions délirantes. Mélanger le mensonge, la sincérité et la franchise – ce qui est, pour l’autre, très déstabilisant – fait partie de son jeu.
Souvent immensément orgueilleux, voire mégalomane, le pervers narcissique aime gagner, à tout prix, sans fin, et ne peut admettre, une seule fois, de perdre. Il est prêt à tout, même aux coups les plus retords, pour ne jamais perdre. Le pervers est comme un enfant gâté. S’il ne rencontre pas de résistance, il ira toujours plus loin.
Le pervers narcissique adore se valoriser, paraître plus qu’il n’est réellement. Toute atteinte à la haute image qu’il a de lui-même le rend très méchant, agressif. Tous ses efforts viseront alors à rétablir cette image flatteuse qu’il a de lui-même, et ce par tous les moyens, y compris par la destruction du perturbateur, celui qui a commis le crime de lèse-majesté.
Il a une très haute opinion de lui-même. Les autres sont pour lui quantités négligeables – ce sont des larbins, des domestiques, des « peanuts »…
. Il déteste qu’on lui fasse de l’ombre, qu’on se mette en avant, qu’on prenne de l’ascendant sur lui, qu’on lui résiste, qu’on lui dise non. Il a besoin sans cesse de rabaisser autrui, par une petite pique de-ci de-là (untel n’a pas de personnalité, untel est égoïste, untel est ingrat, untel est pingre…).
Un plaisir pervers s’éprouve dans la vision de la souffrance de l’autre. Le pervers ressent une jouissance extrême, vitale, à voir l’autre souffrir, à le maintenir dans le doute, à l’asservir et à l’humilier.
Il prend le plus souvent ses victimes parmi des personnes pleines d’énergie et d’amour de la vie, pour les vampiriser et les « dévitaliser ». Il choisit de préférence des personnes honnêtes, sincères, gentilles, qui cherchent vraiment à consoler et à réparer, mais aussi naïves, sans trop d’esprit critique, voire fragiles, afin de les amener plus facilement et plus rapidement à accepter une relation de dépendance.
Les pervers narcissiques mariés ont souvent des épouses soumises qui ont sans doute peur de perdre leur « homme » et ne posent aucune question, même devant des évènements très troublants. Leur relation avec leur mari est loin d’être parfaite, mais elles s’en contentent. Elles espèrent toujours se tromper sur son compte, ou le corriger avec leur amour.
On remarque que ces épouses (ou époux, le pervers narcissique n’est pas nécessairement masculin) se retrouvent un peu dans la même situation que celles des femmes battues. Elles subissent graduellement un lavage de cerveau, d’autant plus facilement qu’elles-mêmes sont souvent à la recherche d’un compagnon qui puisse les structurer. Elles peuvent même trouver excitant le côté sombre de leur partenaire. Elles peuvent être au courant de ses antécédents (problèmes de mœurs, prison, mauvaises actions racontées à l’envi par le pervers à son partenaire etc.) et pourtant tout lui pardonner.
Le pervers agit à l’abri des regards. Les maltraitances sont rarement sous le feu des projecteurs, mais plutôt perpétrées dans le secret des alcôves. Les pervers sont les professionnels de la double vie et de la double personnalité.
Par prudence, il divisera et cloisonnera ses relations, afin qu’on ne puisse pas recouper ses mensonges ou que ses victimes ne risquent pas de se s’allier contre lui. Sa technique, dans ce domaine, finit par être magistrale.
Le pervers narcissique se complaît dans l’ambiguïté. Par ses messages paradoxaux, doubles, obscurs, il bloque la communication et place sa victime dans l’impossibilité de fournir des réponses appropriées, puisqu’elle ne peut comprendre la situation. Elle s’épuise à trouver des solutions qui seront par définition inadaptées et rejetées par le pervers dont elle va susciter les critiques et les reproches. Complètement déroutée, elle sombrera dans l’angoisse ou la dépression (voir Marie-France Hirigoyen, « Le Harcèlement Moral », « La communication perverse », p. 111).
Le pervers narcissique a le talent de diffamer sans avoir l’air d’y toucher, prudemment, en donnant l’apparence de l’objectivité et du plus grand sérieux, comme s’il ne faisait que rapporter des paroles qui ne sont pas les siennes. Souvent il ne porte pas d’accusation claire, mais se contente d’allusions voilées, insidieuses.
Comme un rusé paysan, il est capable parfois de se faire passer pour bête et naïf, prêchant le faux pour savoir le vrai. Un très bon moyen de guerre psychologique pour tirer les vers du nez d’une personne trop pleine de certitudes.
Au pénal, les pervers narcissiques ne bénéficient généralement pas d’une responsabilité altérée ou atténuée, comme on l’a vu dans le procès de Jean-Claude Romand : Le pervers connaît la loi et il est conscient de ce qu’il fait (simplement, il le fait quand même par défi, par jeu, pour le frisson). Donc il reste responsable de son choix (en tout cas, il semble être responsable pénalement).>>
Source : Marie-France Hirigoyen : « Le Harcèlement Moral »