Entretien avec Stephen Gilligan
L’hypnose se trouve aujourd’hui au cœur de diverses formes de thérapie ou de développement personnel. Exemple avec la transe générative élaborée par Stephen Gilligan.
Vous expliquez dans votre livre avoir passé une partie de votre enfance dans des états de conscience modifiée…
La transe fut mon premier langage. Comme beaucoup d’enfants confrontés à l’alcoolisme familial, j’ai appris à dissocier, c’est-à-dire à utiliser mon imagination pour me réfugier ailleurs. Quand j’ai rencontré Milton Erickson, il y a quarante ans, j’avais 19 ans. J’avais entendu parler de lui à l’université de Californie, Santa Cruz, où j’étais étudiant. Je me suis dit qu’il pratiquait quelque chose qui m’avait toujours été familier. Mais alors que la transe m’avait toujours servi à me retirer de la vie, Erickson l’utilisait pour s’y reconnecter. C’est un précurseur de ce qu’on appelle aujourd’hui la psychologie positive : plutôt que se focaliser sur les pathologies ou les faiblesses de chacun de nous, il a su s’intéresser à nos ressources et notre créativité. Il a développé de nouvelles formes d’hypnose, mais aussi de psychothérapie permettant d’utiliser notre propre personnalité pour évoluer.
En quoi Milton Erickson a-t-il renouvelé la pratique de l’hypnose ?
L’idée que la plupart des gens se font traditionnellement de l’hypnose, c’est qu’il s’agit d’une technique employée par une personne pour en contrôler une autre, la programmer pour accomplir des actions ou penser à certaines choses. Erickson a avancé que la transe n’est pas un produit artificiel de la suggestion, mais un phénomène propre à la conscience humaine : il nous arrive d’entrer naturellement en transe, avec ou sans l’hypnose. D’autre part, il existe de nombreux types de transe, mais celle qui s’avère la plus utile pour la théorie comme pour la pratique se base sur le fonctionnement propre à un patient donné. La technique d’induction de cette transe ne peut donc pas être standardisée, mais doit rester flexible pour s’adapter à chaque personne.
Vous qui avez été son élève, quelle différence faites-vous entre l’hypnose d’Erickson et votre transe générative ?
Dans l’hypnose éricksonienne, le thérapeute vous guide. Pour accéder à la créativité, il faut se débarrasser de l’esprit conscient, notamment par la relaxation. Or on peut parvenir à des résultats en maintenant la conscience. Mon approche met précisément l’accent sur une conversation entre l’esprit conscient et l’inconscient. La transe générative a pour but de favoriser la fluidité des échanges entre ces deux types d’intelligence. Quand le corps et l’esprit sont détendus, aucune tension ne bloque le processus.
Quelle est la différence entre la transe, le rêve et l’état hypnagogique, celui où nous glissons de la veille au sommeil ?
Le terme d’hypnose vient du grec « sommeil ». Beaucoup de gens s’imaginent d’ailleurs que plonger dans un état hypnotique nous isole du monde extérieur. En réalité, d’un certain point de vue, l’hypnose est le contraire du sommeil : c’est un état d’éveil que nous utilisons non seulement pour être conscients de ce qui se passe en nous, mais de ce qui vient de l’extérieur. L’état hypnagogique, lui, ressemble davantage à l’état hypnotique parce que nous y conservons une parcelle de conscience qui nous rend attentifs au processus. Je viens de visiter l’Orangerie aujourd’hui, pour la quatrième fois, et devant les tableaux de Monet je discernais un artiste qui avait justement su se connecter à son monde intérieur de possibilités pour les traduire dans le monde extérieur.
Peut-on alors comparer la transe générative au rêve lucide, où le dormeur prend conscience qu’il se trouve dans un rêve et parvient à le diriger ?
Oui, c’est une bonne analogie. J’ai obtenu mon diplôme en même temps que Stephen Laberge, pionnier dans l’étude du rêve lucide en laboratoire. Nous avons même travaillé ensemble pendant deux ans pour essayer de savoir quelle serait la meilleure façon d’y entraîner les gens.
Y a-t-il des patients pour lesquels vous déconseilleriez la transe générative ?
Il faut être prudent lorsqu’on se connecte à la partie la plus profonde de soi. Le danger est de s’y perdre. C’est pour cela que les patients doivent d’abord être accompagnés par un professionnel expérimenté, qui doit savoir comment assurer les aspects positifs de la transe. L’essentiel est d’encourager les gens à se connecter à ce qu’il y a de positif en eux et dans la vie. Ils peuvent s’ouvrir et se faire davantage confiance, cela s’apprend.
Une fois qu’on est bien formé, peut-on pratiquer la transe générative quotidiennement, comme la méditation de pleine conscience par exemple ?
La méditation de pleine conscience est une composante cruciale de la transe. Plusieurs éléments m’ont déçu dans l’évolution de la psychothérapie de ces quinze dernières années, mais le développement et la popularité de la pleine conscience m’ont agréablement surpris. Être capable de se montrer attentif calmement à ses états intérieurs, c’est la clé de tout.
Vous intéressez-vous à l’évaluation scientifique de la transe générative, comme le font les promoteurs de la méditation de pleine conscience ?
Absolument. J’ai d’ailleurs travaillé dans un laboratoire qui étudiait expérimentalement l’hypnose. Je suis impatient que des étudiants d’aujourd’hui s’emparent du sujet.
Après toutes ces années de pratique de la transe, qu’est-ce que ça vous apporte encore ?
Plus vous en faites, mieux c’est. Cela favorise ce que le psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi, chef de file de la psychologie positive, appelle le flux (flow) : non seulement vous êtes plus productif et votre travail est meilleur, mais vous vous sentez tellement bien ! Ces deux types d’arguments me conviennent.
Propos recueillis par Jean-François Marmion