Les dégâts du binge drinking sur le cerveau des jeunes
Alors que le phénomène du binge drinking continue de prendre de l’ampleur en Europe, des chercheurs franco-anglais se sont penchés sur les effets d’une telle pratique au niveau du cerveau. Leur étude, publiée dans Addiction Biology, révèle que la consommation excessive de boissons alcoolisées sur une courte période endommage durablement le cerveau des jeunes
En Europe, 28% de la population étudiante et 33% des 15-24 ans s’adonnent au binge drinking une fois par semaine (Source : Département de la communication de l’Union européenne). Or, ce jeu importé des pays anglo-saxons s’avère très néfaste pour le cerveau.
La matière grise du cerveau contient les corps cellulaires des cellules nerveuses (neurones) alors que la matière blanche contient les fibres nerveuses (axones des cellules nerveuses) entourées d’une gaine de myéline protectrice.
La myéline, qui donne la couleur blanche, agit comme un isolant qui facilite la transmission des signaux transmis par les fibres nerveuses.
La matière grise est distribuée dans le cortex cérébral et plus profondément dans les noyaux des cellules nerveuses, dans le tronc cérébral et la colonne vertébrale.
L’étude* porte sur quarante étudiants de deux universités différentes, âgés de 18 à 25 ans. Parmi les participants, il y avait dix hommes et dix femmes qui ne pratiquaient pas le binge drinking, tandis que dix hommes et dix femmes étaient des « binge drinkers ».
Les étudiants se sont prêtés à des questionnaires, des IRM et des tests cognitifs, deux fois à un an d’intervalle.
Les chercheurs sont arrivés à la conclusion que les différences des dommages sur le cerveau s’observent en fonction du sexe.
Le binge drinking a de graves répercussions anatomiques chez les hommes. Leurs cerveaux présentent des perturbations au niveau de la connectivité neuronale dans la matière blanche. La matière blanche est composée de faisceaux de fibres qui connectent les différentes régions de matière grise et transmettent les communications entre les cellules nerveuses. Lorsque la matière blanche est atteinte, le câblage par lequel passe l’influx nerveux est moins performant.
Or à l’adolescence, il y a une diminution de la masse de matière grise afin d’éliminer les connexions neuronales inutiles tandis que la matière blanche s’intensifie pour accélérer la vitesse de connexion sur la myéline.
Résultat : les garçons qui s’adonnent au binge drinking ont une moins bonne mémoire, des difficultés d’apprentissage, de raisonnement, de compréhension, de lecture, etc.
Les hommes sont plus touchés que les femmes car ils sont beaucoup plus nombreux à pratiquer le binge drinking. « Lors du recrutement des étudiants que nous avons fait à l’aide d’un questionnaire, 40% des hommes contre 16% des femmes étaient des binge drinkers sur environ 4.000 étudiants. Cette proportion correspond à celle observée aux Etats-Unis », explique le Pr Mickael Naassila, l’un des auteurs de l’étude. « Il y a donc une banalisation du binge drinking qui mérite qu’on prenne ce phénomène très au sérieux », précise-t-il.
Contrairement aux garçons, les filles ne perdent pas la densité de leur matière blanche. Selon le Pr Mickael Naassila, ce résultat serait certainement dû au fait que « le cerveau des jeunes filles finit sa maturation plus tôt dans l’adolescence, alors qu’elle continue de progresser chez l’homme jeune adulte ». Le professeur n’exclut pas que la matière blanche des femmes subisse des altérations « mais plus subtiles », explique-t-il. Néanmoins, elles voient leur matière grise altérée.
C’est la matière grise du cerveau qui contient les corps cellulaires de nos neurones. Les structures de la matière grise traitent l’information provenant des organes sensoriels ou d’autres régions du cerveau constituées de matière grise.
Même si les premiers résultats de l’étude portent sur la matière blanche, on peut en conclure que les filles qui pratiquent le binge drinking perdent des neurones. En effet, le binge drinking déclenche un processus neuro-inflammatoire qui attaque la substance blanche, tue des neurones et empêche la neurogénèse (apparition de nouveaux neurones).
Le Pr Naassila ajoute que « cette étude met en lumière que la vitesse de consommation d’alcool est d’autant plus toxique pour le cerveau ».
Aujourd’hui, le binge drinking n’est pas considéré comme une maladie de dépendance à l’alcool, pourtant ces deux comportements engendrent les mêmes dégâts catastrophiques sur le cerveau. L’étude montre que les séquelles observées chez les étudiants sont toujours présentes un an après l’expérimentation.
* « Altered while matter integrity in whole brain and segment of corpus callosum, in Young social drinkers with binge drinking pattern » – Les premiers résultats de cette étude sont financés par le conseil régional de Picardie en plus du financement européen INTERREG IVA et obtenus grâce à une collaboration avec l’Université du Sussex (Pr Théodora Duka) et l’université de Champagne Ardenne (Dr Fabien Gierski)
Par Laurence Moisdon