La fin de la plainte
Se plaindre entretient la souffrance
Ruminer ses problèmes, ça enferme. C’est pourquoi l’action vaut mieux que l’introspection.
Une vie à contre-courant. François Roustang est l’un des grands trublions du monde psy. Dans son dernier ouvrage, “La Fin de la plainte”, il nous invite à cesser de glorifier nos si chers » moi « . Etonnant pour un thérapeute ? Cette prise de position, il la doit à sa formation initiale, la philosophie, et à sa fréquentation de la théorie lacanienne qui voit dans l’ego une baudruche gonflée d’orgueil. Dans les années 80, Roustang abandonne la psychanalyse traditionnelle pour se consacrer à l’hypnose. Là encore, il se situe à contre-courant des idées communément admises. Pour lui, cette technique, loin d’être passive, nous réveille : elle entraîne un état de vigilance extraordinaire, où nous prenons contact avec notre potentiel créateur. Roustang est l’auteur de plusieurs ouvrages devenus des classiques. Parmi eux, “Qu’est-ce que l’hypnose ?” (Minuit, 1994), “Comment faire rire un paranoïaque ?” (Odile Jacob, 1996), et deux essais guère complaisants sur Freud et la psychanalyse : “Un destin si funeste” et “Elle ne le lâche plus” (Minuit, 1976 et 1980).
Après quoi cours-tu ? » demanda un jour au thérapeute François Roustang l’un de ses amis. Il lui répondit : » Je cherche à mettre un terme à la plainte ! » L’autre crût à une plaisanterie. De cette conversation naquit pourtant un livre paru récemment, “La Fin de la plainte”.
La plainte se décline souvent ainsi : » J’ai un mari et des enfants adorables, mon travail me plaît, pourtant je suis insatisfaite. » Elle peut revêtir des contours plus tragiques : » Il m’est impossible d’aimer, car mon père a abusé de moi enfant. » Dans tous les cas, elle est la preuve qu’un événement persistant du passé nous empêche de profiter du présent. Et de lui faire face. Cependant, explique François Roustang, plus nous nous plaignons, plus nous souffrons. Car la plainte entretient la souffrance. D’où son invitation à la dépasser.
Psychologies : Quand on consulte un psy, n’est-ce pas justement pour se plaindre de ne pas jouir de l’existence ? Et surtout pour essayer d’en comprendre la cause ?
François Roustang : Cette attitude est une caractéristique de notre époque, de notre culture, qui nous invite à nous raconter, à nous inquiéter de notre moi, de notre image. Elle va de paire avec l’individualisme ambiant. Croire qu’on va guérir de sa douleur intérieure en apprenant à se connaître est la grande illusion du moment. Née avec la psychologie, elle s’est développée avec la multiplication des thérapies. On en arrive aujourd’hui à des situations absurdes : des jeunes femmes persuadées de ne pas rencontrer le grand amour parce qu’elles n’ont pas suffisamment » travaillé sur elles « . Comme s’il fallait un travail sur soi pour être amoureux ! Non seulement la connaissance de soi ne guérit pas, mais elle enferme ! Elle fait de nous des Narcisse dépressifs. Le besoin de comprendre est respectable, il fait pleinement partie de notre culture. Mais comprendre ne fait pas changer.
Psychologies Magazine