Cerveau : comment se forment nos souvenirs
Notre mémoire est très efficace : il ne suffit que de quelques secondes pour qu’elle enregistre un événement personnel, comme le premier jour de sa rentrée en 6e, son premier baiser, ou encore la fois où l’on essaie son nouveau vélo reçu à Noël. Toutes ces informations, comprenant l’événement en soi mais aussi la date et son contexte (lieu, moment, personnes présentes etc.) sont stockées par la mémoire dite « épisodique ». Comment procède-t-elle ? L’enregistrement d’un souvenir implique l’activation très rapides de neurones, qui « s’illuminent » individuellement si un élément rappelant la scène resurgit, révèle une équipe de chercheurs de l’université de Californie (aux États-Unis) et de Leicester (au Royaume-Uni). Un mécanisme cérébral fascinant que ces scientifiques viennent de découvrir et qu’ils détaillent dans la revue Neuron.
La découverte du « neurone Jennifer Aniston »
La compréhension de la formation d’un souvenir dans la mémoire épisodique commence réellement en 2005, lorsque des neuroscientifiques décèlent un neurone ne s’activant que lorsque l’on montre des photos de l’actrice américaine Jennifer Aniston aux cobayes. Un autre neurone ne réagissait qu’aux photos d’une autre comédienne, Halle Berry, et ce même avec son masque de Catwoman. « Mais attention toutefois à l’interprétation de cette étude : celle-ci ne prouve pas qu’un seul neurone s’active lorsque l’on voit une image de Jennifer Aniston ou de Halle Berry, commente à Sciences et Avenir Gabriel Lepousez, chercheur en neurosciences à l’Institut Pasteur. Il en existe forcément d’autres car il serait trop risqué qu’un seul neurone soit chargé de mémoriser une image, puisqu’en cas de perte, l’image serait à jamais oubliée. » En fait, selon des travaux ultérieurs, un nombre assez faible de neurones serait impliqué dans la représentation d’une personne, d’un lieu ou d’un concept donné, rendant le cerveau terriblement efficace pour le stockage d’informations.
Dans cette nouvelle étude, les chercheurs sont parvenus à observer ce fameux « neurone Jennifer Aniston » chez 14 patients atteints d’une forme grave d’épilepsie (voir encadré ci-dessous). Ils leur ont implanté des électrodes dans une zone du cerveau appelée « lobe temporal médian », comprenant notamment l’hippocampe et l’amygdale et connue pour être impliquée dans la mémorisation. La précision de la mesure était telle que les chercheurs pouvaient distinguer l’activité de neurones isolés.
Afin de mener des études sur la mémoire, les chercheurs implantent des électrodes dans le cerveau de volontaires atteints d’une forme grave d’épilepsie et devant subir une opération chirurgicale du cerveau. Ils profitent ainsi du fait que ces patients doivent subir une opération du cerveau pour étudier le fonctionnement de ce dernier. Car l’on imagine facilement que peu de volontaires « sains » soient prêts à subir une chirurgie aussi invasive au nom de la science…
Une seule image suffit à associer une personne et un lieu à vie
Les chercheurs ont donc commencé par montrer aux volontaires des portraits d’acteurs, comme Jennifer Aniston ou Clint Eastwood (pour changer). Puis, après avoir identifié les neurones qui s’activent à la vue de ces personnes, ils ont montré de nouveau aux patients ces mêmes célébrités mais avec, au dernier plan, un monument connu. Ainsi, Jennifer Aniston se trouvait devant la Tour Eiffel et Clint Eastwood au pied de la Tour de Pise (voir ci-contre). Les volontaires devaient alors mémoriser ces associations. Enfin, seules les images des lieux leur étaient présentées. Verdict : l’image de la tour Eiffel déclenchait l’activation de « neurones Aniston », celle de la Tour de Pise les « neurones Eastwood ». Et devant les autres images, ces neurones demeuraient totalement inactifs.
Étonnamment, il a suffi aux sujets de voir une seule fois le montage personnalité/monument pour qu’ils mémorisent l’association. « C’est un changement radical par rapport aux expériences menées chez l’animal, pour qui cet apprentissage est observé après de nombreux entraînements, explique Gabriel Lepousez. « C’est crucial pour comprendre le processus neurologique sous-jacent à la formation de souvenirs en situation réelle, ajoute dans un communiqué Rodrigo Quian Quiroga, co-auteur de l’étude, car au quotidien, nous ne sommes pas exposés de façon répétée à un événement pour nous en rappeler, une fois suffit. » Ce dernier espère que la découverte de ce mécanisme pourrait conduire à une meilleure compréhension de la perte de mémoire et de nouvelles méthodes pour combattre la maladie d’Alzheimer et d’autres maladies neurologiques.
© Courtesy of UCLA