>Comment sortir de la boulimie
Etats dissociatifs et Boulimie
La boulimie est un trouble complexe, multifactoriel qui se caractérise concrètement par des crises compulsives ou la prise alimentaire prend des proportions incontrôlables.
- 70% des boulimiques sont des jeunes filles ou des femmes.
- 10% des femmes sont touchées à un moment ou un autre par des périodes alimentaires compulsives.
- 70% des boulimiques ont un poids normal (« invisibilité » du trouble)
- 20 % des boulimiques souffrent d’une autre dépendance
Contrôle et perte de contrôle
Dans tout domaine psychologique et à fortiori dans celui des troubles, alimentaires ou autres, il y a une règle élémentaire : « plus il aura contrôle, plus il aura perte de contrôle ». Le contrôle est illusoire (on appelle d’ailleurs cela « illusion de contrôle »). Installée, dans un système perfectionniste et exigeant, la personne souffrant de boulimie met en place des stratégies de contrôle de plus en plus sophistiquées. Il s’agit de contrôler l’incontrôlable, démarche infernale, condamnée à l’avance qui ne peut mener qu’à une surenchère. Le contrôle s’installe à différents niveaux transformant un trouble (la boulimie) en un véritable mode de vie. Quelques exemples :
- Pour un grand nombre, les crises sont planifiées, ritualisées : secret, horaires, contraintes, planification d’achat.
- Contrôle du poids, par la mise en place de stratégies d’élimination : vomissement, laxatif (20%)
- Contrôle des quantités, toujours importantes, pour garantir le vomissement.
- Tentatives de surveillance et de contrôle externes par l’entourage.
- Contrôle du poids par des périodes anorexiques (dans 50% des cas), de jeûne ou de sport à outrance.
Les stratégies de contrôle, réponses mises en place pour contrôler le trouble n’ont d’effet que de l’accentuer et de le chroniciser en créant un cercle vicieux sous la forme de l’alternance contrôle/perte de contrôle.
Anesthésie et/ou engourdissement des émotions
Tout thérapeute qui se respecte ayant travaillé sur des structures obsessionnelles sait ne pas « tomber dans le panneau » de l’obsession. La focalisation sur un sujet a pour vocation principale de neutraliser d’autres problèmes qui seraient plus déstabilisants. Il ne s’agit pas ici de dire que la personne fait « exprès », mais qu’elle a mis en place une stratégie inconsciente de défense. La crise de boulimie et d’un point de vue général, le trouble alimentaire constituent souvent un anesthésiant d’affects négatifs. Plutôt que de se laisser déborder par tristesse, anxiété, colère, ennui, angoisse de séparation … une partie de la personne préfère se focaliser sur l’alimentaire). Le moment de la crise est d’ailleurs présenté comme un moment de calme, d’engourdissement… Les émotions négatives et plus particulièrement la peur qu’elles viennent à déborder sont fréquemment un déclencheur de la crise et du trouble alimentaire. Le top dans ce domaine est la personne souffrant de TCA qui trouve le moyen, même dans un échange psychothérapeutique, de glisser systématiquement vers un problème de kilos, neutralisant ainsi ce qui pourrait la submerger (mais en même temps, interdisant l’accès au véritable problème et à sa résolution).
Une des notions à aborder dans l’approche des troubles alimentaires concerne les états dissociatifs. Les phénomènes dissociatifs sont présents chez chacun de nous : quand un refrain nous vient inconscient, lorsque l’on rêve ou lorsque l’on est absorbé par une activité par exemple. Mais au-delà d’un certain seuil, les mécanismes de l’individu mettent en place la dissociation pour échapper à une réalité. Par exemple, un enfant s’absorbera dans un film à la télé pour échapper à une scène de ménage ou de violence de ses parents. Même si les troubles alimentaires ne sont pas classés dans les troubles dissociatifs, le phénomène de dissociation y joue un grand rôle, générant ou chronicisant le trouble.
Voici un panorama des phénomènes dissociatifs (M. Phillips / Psychothérapie des états dissociatifs / Satas)
Ces parties traitant du traumatisme apportent nécessairement des informations sur la genèse et la remise en cause d’un trouble alimentaire. Leur intérêt est également de mettre en évidence une conséquence du vécu traumatique qui semble importante dans l’approche du trouble : les phénomènes dissociatifs.
Comment se mettent en place des phénomènes dissociatifs inadaptés au bien-être ?
Ce processus est issu d’une désynchronisation : le système cognitif qui permet de traiter l’information (de réfléchir, rationaliser, conceptualiser ce que nous vivons…) met quelques années à structurer (on parle par exemple de l’ »âge de raison », à 7 ans parait-il). Par contre le système des émotions fonctionne dès la naissance. Ainsi, un jeune enfant ne va pas avoir tous les moyens d’un adulte pour s’adapter à la réalité qu’il est en train de vivre. Face à un traumatisme, il va se paralyser (« comme un petit animal »). Le rythme alimentaire va être un des seuls éléments sur lequel le jeune enfant va pouvoir influer. On retrouve ces deux éléments dans le trouble alimentaire, moment où le temps s’arrête et ou le rythme alimentaire s’intensifie. Un conditionnement s’est mis en place : certaines situations, stimuli divers vont provoquer état dissociatif et crise boulimique, entre autres.
La dissociation constitue donc une stratégie mentale d’évitement : « la réalité est difficile, je me coupe de la réalité ». Une partie de la personne se déconnecte, phénomène qui peut par exemple se mettre en place pendant une période de stress chronique ou une situation traumatique. On retrouve fréquemment ce modèle des parties dans les troubles alimentaires avec des propos de type : « C’est comme si une partie de moi… ». Nous possédons tous des parties qui forment en interrelation ce que nous sommes. Il y a dissociation quand des parties se scindent, ne communiquent plus ou moins avec le reste de la personne et la réalité qui l’entoure. La difficulté et l’échec des thérapies des addictions ou des troubles alimentaires résident entre autres dans le fait qu’en thérapie, on dialogue avec la partie de la personne ouverte au changement, non avec celle qui s’y oppose ou du moins traîne les pieds. De même, les stratégies conscientes (dont les régimes pour les hyperphages) s’adressent à la partie qui émerge non à la partie à l’origine du problème. Et si un changement alimentaire sous forme de contrôle cognitif, de restriction se met en place, c‘est au mépris de cette partie immergée et donc au détriment de l’équilibre de la personne. Cela ne peut donc être que difficilement stable et durable.
Intention positive, parties et recadrage.
Une étape importante dans la résolution d’un trouble du type boulimie est la mutation cognitive qui concerne le symptôme. Tout comportement a une fonction en lui-même et est orienté vers une intention positive. On met en place un comportement ou une compulsion à un moment où, pour s’adapter à la réalité de ce que l’on vit, on n’a pas de meilleure solution à disposition. La boulimie par exemple fait généralement horreur à la personne qui en souffre. Elle est donc souvent assez loin de considérer un fondement positif au phénomène.
On peut considérer l’être humain comme une boule aux multiples facettes. Ces facettes, parties existent et évoluent en interrelation pour construire et développer une personnalité. Comme expliqué plus haut, le trouble alimentaire s’accompagne de phénomènes dissociatifs. La partie « boulimique » est dissociée des autres parties de la personnalité. C’est pour cela qu’on entend souvent, dans le cadre des comportements alimentaires, des réflexions du type : « C’est comme si une partie de moi… », « je deviens quelqu’un d’autre »… La partie est dissociée, donc incontrôlable et inaccessible. Reconnaître une intention positive à la partie qui met en place la boulimie, c’est l’accepter, l’intégrer c’est-à-dire la réassocier. S’il n’y a plus mise à l’écart, dissociation, un dialogue devient possible.
On peut alors réintroduire ou construire un dialogue interne entre les différentes parties et la construction de nouvelles solutions.
Dans de nombreux cas, la dissociation pérennise, entretient le trouble et crée la difficulté thérapeutique : on ne communique pas ou peu avec la partie concernée, possédant les solutions. Rétablir le contact avec la « partie boulimique » suffit souvent à résoudre le trouble. « Reconstruite », en contact avec sa totale intégrité, la personne trouve en elle les moyens et ressources de remettre en cause le trouble, de générer de nouvelles solutions respectant l’intention positive de départ mais adaptées au bien-être (ce que l’on nomme recadrage). L’hypnose ericksonienne est un outil privilégié de cette reconstruction et de ce changement. Le conscient en recul, on a accès à ces parties inconscientes, on peut les mobiliser et les guider en leur offrant les outils de cette restructuration interne.
Par J. Boutillier