L’effet ”nocebo”
Moins étudié que son jumeau bénéfique, le placebo, est un phénomène psychosomatique souvent ravageur.
Article extrêmement intéressant écrit par Helen Pilcher, New Scientist
A la fin des années 1970, Sam Shoeman apprend qu’il souffre d’un cancer du foie en phase terminale et qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre.
Shoeman meurt effectivement quelques semaines plus tard et pourtant les résultats de l’autopsie révèlent que les médecins s’étaient trompés: la tumeur était en réalité minuscule et il n’y avait aucune trace de métastases.
“Il n’est pas mort du cancer, il est mort parce qu’il croyait qu’il était en train de mourir du cancer”, résume Clifton Meador, professeur à l’école de médecine Vanderbilt de Nashville.
“Quand tout le monde vous traite comme un mourant, vous finissez par croire que vous êtes mourant. Tout votre être est convaincu qu’il va mourir.” Les cas comme celui de Sam Shoeman sont peut-être les formes les plus extrêmes d’un phénomène assez répandu. En effet, il est possible qu’un grand nombre de patients subissent des effets secondaires uniquement parce qu’on les a avertis qu’ils risquaient d’en subir. En outre, les personnes qui pensent être sujettes à certaines maladies ont plus de chances d’en être atteintes que celles qui sont convaincues du contraire.
Le fait de se croire malade peut-il effectivement rendre malade ?
L’idée peut paraître tirée par les cheveux, pourtant l’inverse a été scientifiquement démontré.
C’est le célèbre effet placebo, le pouvoir de suggestion capable de guérir.
Les placebos ne font pas de miracles, mais ils produisent des effets physiologiques mesurables.
L’effet placebo a malheureusement un jumeau maléfique : l’effet nocebo, qui apparaît lorsqu’une attitude pessimiste suffit à produire des effets nocifs sur la santé d’un patient.
Le terme “nocebo” – en latin “je nuirai” – n’est apparu que dans les années 1960, et les connaissances sur ce phénomène sont nettement plus réduites que celles sur l’effet placebo. Après tout, il n’est pas si simple, d’un point de vue éthique, d’obtenir une autorisation pour mener des études visant à rendre malades les volontaires.
Tout indique que l’effet nocebo peut prendre des proportions graves.
“La ‘mort par incantation vaudoue’, si tant est qu’elle existe, pourrait être une forme extrême de l’effet nocebo”, explique Robert Hahn, anthropologue au Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) d’Atlanta, en Géorgie, et spécialiste de ce phénomène.
Une étude rétrospective de 15 essais cliniques menés sur des milliers de patients – certains prenants des bêtabloquants [médicaments bloquant l’action d’hormones comme l’adrénaline, souvent utilisés en cardiologie], d’autres servants de groupe de contrôle [a qui l’on donne un placebo] – a révélé que l’ensemble des volontaires se plaignaient des mêmes effets secondaires : fatigue, symptômes dépressifs et dysfonctionnements sexuels.
Certains ont même dû interrompre l’essai en raison de ces désagréments.
L’effet nocebo s’observe couramment dans la pratique médicale.
Près de 60 % des patients suivant une chimiothérapie commencent à se sentir mal avant même de commencer le traitement. “Cela peut se produire plusieurs jours avant, ou bien sur le trajet [pour l’hôpital]”, explique Guy Montgomery, psychologue clinicien à l’école de médecine Mount Sinai, à New York. Parfois, le simple fait d’entendre la voix du médecin suffit à rendre malades certains patients.
L’optimisme ou le pessimisme influent sur la santé
Plus inquiétant encore, l’effet nocebo peut être contagieux.
Cela fait des siècles que les médecins ont observé des cas de propagation de symptômes inexpliqués au sein d’un groupe.
Le phénomène est connu sous le nom de “phénomène psychogénique de masse”. Irving Kirsch et Giuliana Mazzoni, deux psychologues de l’université de Hull, au Royaume-Uni, se sont récemment intéressés à l’une de ces manifestations.
Dans le cadre de leur étude, les deux scientifiques ont demandé à certains membres d’un groupe d’étudiants de respirer des échantillons d’air en leur faisant croire qu’ils contenaient “une substance potentiellement nocive pour l’environnement” et susceptible d’entraîner des maux de tête, des nausées, des démangeaisons et de la somnolence. La moitié des volontaires assista ensuite à une projection montrant une femme développant – apparemment – tous ces symptômes après avoir respiré un échantillon d’air.
Résultat : les étudiants qui avaient respiré un échantillon de cet air étaient plus susceptibles de signaler le même genre de symptômes que les autres. Les symptômes étaient même plus prononcés chez les femmes qui avaient assisté à la projection.
Voilà qui place les médecins dans une situation particulièrement délicate. “D’un côté, les gens ont le droit de savoir à quoi s’attendre, de l’autre, le fait de les informer peut augmenter le risque d’apparition des effets annoncés”, explique Giuliana Mazzoni.
Cela signifie que les médecins doivent être très attentifs à leur façon de formuler les choses afin de réduire les effets négatifs, ajoute Guy Montgomery.
“Tout est dans la façon de le dire.”
Le phénomène suscite encore trop de questions.
Quels sont les facteurs déclencheurs de l’effet nocebo ?
Combien de temps les symptômes peuvent-ils durer ?
L’optimisme ou le pessimisme de chacun peuvent avoir une incidence mais aucun trait de caractère ne permet de faire des prédictions. Le phénomène touche aussi bien les hommes que les femmes, même si celles-ci signalent davantage de symptômes que les hommes. “Les femmes tendent à se fonder davantage sur leurs expériences passées, tandis que les hommes sont plus réticents à en tenir compte”, note Enck.
L’effet nocebo relève du domaine de la croyance
Une chose est sûre, ces phénomènes de nature apparemment psychologique ont des conséquences très réelles dans le cerveau.
L’année dernière, utilisant la technique de tomographie par émission de positrons, Jon-kar Zubieta, de l’université du Michigan, a observé que l’effet nocebo était lié à une baisse de la dopamine et de l’activité opioïde dans le cerveau. Cela expliquerait pourquoi l’effet nocebo tend à exacerber les sensations de douleur.
En parallèle, Fabrizio Benedetti, de la faculté de médecine de Turin, a découvert que les douleurs liées à l’effet nocebo pouvaient disparaître grâce à une substance appelée proglumide, qui bloque les récepteurs de la cholécystokinine (CCK), une hormone. Typiquement, l’anticipation d’une douleur est source d’anxiété, ce qui active les récepteurs CCK et augmente les sensations douloureuses.
Reste que la cause première de l’effet nocebo ne relève pas du domaine de la neurochimie mais bien de la croyance. Ainsi que l’explique Hahn, les chirurgiens se montrent généralement hésitants quand il s’agit d’opérer des patients qui sont convaincus qu’ils vont mourir car c’est souvent ce qui se produit.
Une étude a révélé que les femmes qui se croient particulièrement sujettes au risque d’arrêt cardiaque ont quatre fois plus de chances de mourir de maladie cardio-vasculaire que les autres femmes présentant les mêmes facteurs de risque.
Les preuves ont beau s’accumuler, il est difficile d’accepter, à l’ère de la raison, que des croyances puissent tuer.
Après tout, la plupart d’entre nous éclateraient sûrement de rire si un homme étrangement attifé se mettait à sauter autour de nous en agitant un os et en nous disant que nous allons mourir.
Mais imaginez quel effet cela vous ferait d’entendre la même chose de la bouche d’un médecin propre sur lui, bardé de diplômes, avec tous vos résultats d’examens dans son ordinateur ?
Le contexte social et culturel est crucial, explique Enck.
Peut-être faudra-t-il attendre de découvrir les fondements médicaux et biologiques de la “mort vaudoue” pour reconnaître que ce phénomène est bien réel et qu’il peut affecter n’importe quel individu.
Interview Dr.Bruce Litpon
Source: http://www.psy-en-mouvement.com/intra/imprim_news.php?id=1196