Les symptômes de la dépression masquée.
Le terme dépression masquée, apparu en 1969 (WALCHER, 1969, die « Lavierte Depression »), mais dont le concept peut être retrouvé dès la fin du 19ème siècle, et qui a été repris par l’école psychosomatique française sous le terme « dépression essentielle », correspond à peu près à ce que les anciens psychiatres appelaient « dépression sine depressione », c’est à dire un état où le processus dépressif et ses deux symptômes fondamentaux, à savoir la tristesse vitale et le ralentissement psychomoteur, sont masqués, dissimulés par une symptomatologie somatique.
L’écoute de patients qui ont engagé une psychothérapie nous a permis de préciser les mécanismes psychiques de ce type de dépression dite aussi archaïque, c’est-à-dire qui a été vécue dans les premiers mois de la vie. Cette dépression précoce s’exprimera plus tard dans la vie d’une personne majoritairement par des symptômes « physiques » et non pas psychiques, en particulier car elle renvoie à une époque où le développement du schéma corporel neurologique n’était pas achevé, c’est-à-dire avant le 30ème mois.
Le plus souvent la dépression masquée et ses symptômes surviennent chez des personnes qui ne se plaignent pas de leur vie relationnelle et affective. Leur plainte se concentre sur leurs symptômes physiques, qui accaparent leurs efforts pour guérir.
D’après Walcher, la dépression masquée peut prendre la forme de n’importe quel syndrome somatique. Ainsi le processus dépressif est recouvert par une diversité de troubles végétatifs ou organiques fonctionnels – équivalents dépressifs- qui touchent tous les systèmes: système nerveux-central, systèmes vaso-végétatif, cardio-vasculaire, gastro-intestinal, génito-urinaire, musculaire, osseux.
Parmi ces symptômes équivalents dépressifs ont été identifiés dès 1965
• les troubles du sommeil (insomnie, surtout du matin, mais aussi hypersomnie)
• les troubles gastro-intestinaux ( dont la colopathie fonctionnelle)
• les troubles neurovégétatifs et fonctionnels, parmi lesquels ont été recensés
o la constriction cervicale ou thoracique
o les vertiges (de Meniere)
o les acouphènes
o les troubles cardio-vasculaires (poussées hypertensives ou hypotensives)
o les céphalées, souvent accompagnées d’éléments phobiques (peur d’une tumeur cérébrale, de la mort)
o Affections cutanées
o Troubles musculo-squelettiques: douleurs au niveau de la nuque et de la colonne vertébrale : scapulalgies, lombalgies, certaines arthroses, douleurs sciatiques et pelviennes
o les douleurs atypiques ; douleurs sine materia, glossodynies et stomatodynies (douleurs de la bouche et langue) les algies faciales atypiques.
Les examens sont répétés, les traitements sont renforcés et pourtant peu efficaces, et cela est logique Plus la composante psychique d’un trouble psychosomatique est prégnante, plus les traitements médicaux habituels sont peu opérants. L’expérience montre que la psychothérapie analytique, l’hypnose et d’autres thérapies permettent d’améliorer l’efficacité des traitements médicamenteux.
En conclusion, le « psycho-soma », terme que nous devons à Winnicott, est une réalité déroutante. C’est au corps (organes localisés, directement observables) que l’on a tendance à attribuer directement et spontanément l’explication d’anomalies fonctionnelles et/ou de sensations douloureuses… La dimension psychique est difficilement localisable sauf par IRM ; elle implique une écoute du langage verbal et non-verbal. Cette dimension psychique peut être niée par certains car elle n’obéit pas à la logique commune.
La citation de Pascal, qui avait une compréhension profonde de la nature humaine, nous donne à réfléchir :
» C’est une maladie naturelle à l’homme de croire qu’il possède la vérité directement; et de là vient qu’il est toujours disposé à nier tout ce qui lui est incompréhensible; au lieu qu’en effet il ne connaît naturellement que le mensonge; et qu’il ne doit prendre pour véritables que les choses dont le contraire lui paraît faux « .
Pascal, De l’esprit géométrique