Comment repérer les manipulateurs – article du Figaro Magazine
Les lois sur le harcèlement moral et la violence psychologique ont révélé la multiplication du nombre de ces personnalités perverses.
PASCALE SENK
journaliste au Figaro
EMPRISE C’est un scénario à la Hitchcock: une nouvelle personne est entrée dans votre vie (un supérieur hiérarchique ou une nouvelle amoureuse…) et votre quotidien a soudain pris de magnifiques couleurs. Vous vous sentez valorisé, reconnu, vous avez le sentiment d’être comme «sur la même longueur d’onde» avec lui, ou elle.
Vous vous confiez de plus en plus intimement, même au bureau, vous laissez entrevoir des pans entiers de votre passé.
Vous êtes prêt à répondre à toutes les demandes de cet interlocuteur, tellement il sublime vos émotions.
Les mois, les années parfois, passent. Et peu à peu, le climat change. Vous vous sentez de plus en plus fragile face à ce partenaire, comme dévitalisé…
«C’est alors qu’on passe du paradis à l’enfer, témoigne Jeanne, 45 ans, qui a vécu une liaison passionnelle avec un pervers narcissique.
Pendant trois ans, je ne touchais plus terre, j’étais capable de sauter dans un avion pour le rejoindre à l’autre bout du monde pour un seul weekend, il était mon mentor.»
Les choses se gâtent quand elle sent comme des mensonges flotter dans l’air… et qu’elle, habituellement affirmée, n’ose pas poser les questions qui fâchent.
«Je me retrouvais à culpabiliser de douter “comme ça” de lui, se souvient-elle. Je ne savais plus quoi penser.
En plus, si jamais j’osais réclamer une information, je me faisais retourner comme une crêpe.»
Les trois ans qui suivent n’amèneront que désolation, violence, mépris dans le couple.
Mais Jeanne ne parvient pas à quitter ce «mentor» qui la détruit à petit feu.
Il lui faudra un nouvel amour, allant jusqu’à menacer son prédateur, pour fuir et pouvoir s’en libérer.
La thérapeute et analyste Geneviève Schmit a connu personnellement une telle relation d’emprise.
Elle a créé le portail Internet pervers-narcissiques.fr, ainsi que manipulateurs.wordpress.fr, l’un des blogs les plus visités (plus de 1000 visites par jour actuellement). Elle appelle ces manipulateurs, dont le nombre serait en nette augmentation dans nos sociétés sans repères (lire ci-dessous), «les vampires de l’âme».
Ils savent de manière très intuitive ce à quoi leurs victimes aspirent secrètement, explique-t-elle.
Alors ils se présentent tels que leurs proies ont envie qu’ils soient.
C’est le professionnel qui prétend connaître le métier dix fois mieux que vous et va vous “prendre en charge”, vous faire profiter de ses réseaux; c’est le parent divorcé qui sait que son enfant, il vaut mieux le “protéger” de l’autre parent; c’est l’amant protecteur qui, toujours aux petits soins, comble la jeune femme ayant eu un père très absent…»
Ce sixième sens particulièrement développé chez les personnalités manipulatrices explique pourquoi leurs victimes avouent toutes une «fascination immédiate» au début de la relation.
Mais la suite est toujours la même: aux compliments succèdent les dévalorisations, la «disgrâce».
Au niveau professionnel, par exemple, ces prédateurs s’approprient les idées de leurs «protégés », tout en les dénigrant.
«La plupart du temps, les futures victimes captent certains signaux d’alerte (violence verbale, rejet puis demande vibrante de retrouvailles, sentiment de malaise), mais elles n’en tiennent pas compte», observe Geneviève Schmit.
Un signe qui ne trompe pas, toutefois: la victime perd totalement confiance en elle, devient irritable, s’effondre progressivement, ses amis disent ne plus la
reconnaître.
Il est alors plus que temps de demander de l’aide à un tiers : avocat, DRH, psychothérapeute…
L’important est de ne plus rester seul avec cette sale impression d’être dévoré de l’intérieur.
Si ces relations d’emprise concernent tout un chacun, on peut toutefois se demander ce qui nous en protège.
Pour le psychanalyste Jean-Michel Fourcade, auteur de Les Personnalités limites (Éd.Eyrolles), il faut se dégager du «pacte inconscient» que nous pouvons avoir signé avec un manipulateur ou une manipulatrice.
«Pendant longtemps, chacun trouve son compte à la relation.
Le prédateur a détecté un besoin auquel il a apporté une réponse.
Plus ce besoin est archaïque et inconscient, plus la victime se retrouve “agie” à son insu», explique Jean-Michel Fourcade.
Par conséquent, être conscient de ses propres désirs et besoins est une première protection face à des personnalités perverses.
«Plus on est autonome, moins on risque d’être victime, ajoute le psychanalyste.
Si nous ne pouvons pas nous-mêmes donner un sens à notre existence, nous serons vulnérables au chant de ceux qui affirment savoir pour nous…»
Autre parade: apprendre à discuter, à négocier. C’est-à-dire savoir dire ses besoins, certes, mais aussi savoir entendre ceux de l’autre. Toute une connaissance de soi qui, seule, permet peut-être d’échapper aux filets des personnes les mieux intentionnées
Suite dans le Figaro Magazine du 16 avril 2012