Suicide chez les enfants


Suicide chez les enfants : pourquoi passent-ils à l’acte ?

En ce début d’année 2011, à seulement quelques jours d’intervalle, trois enfants âgés de 9 à 11 ans ont décidé de se donner la mort. Un geste suscitant l’incompréhension, tant on peine à mesurer la souffrance qu’un enfant peut pourtant ressentir, au même titre qu’un adulte. Afin de briser les tabous autour du suicide chez l’enfant, et surtout, dans le but de prévenir de tels actes, nous avons rencontré le Pr Jean-Philippe Raynaud, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHU de Toulouse.

aufeminin : On a récemment exposé dans la presse plusieurs cas de suicides chez les enfants. Ces épisodes tragiques sont-ils plus fréquents qu’auparavant ?
Il n’est pas du tout certain que le suicide chez l’enfant prépubère soit devenu beaucoup plus fréquent. Nous y sommes tous, sans doute, plus attentifs, et certains tabous ont un peu cédé. En revanche, sa médiatisation a pris plus d’ampleur. Et il n’est pas exclu que cette médiatisation, parfois maladroite, et les réactions souvent passionnées qu’elle suscite, puissent avoir des effets incitateurs chez des enfants fragiles. Dans certains pays, un travail spécifique avec les médias a d’ailleurs été mis en place pour savoir ce qu’il était bon de communiquer ou pas.

Qu’est-ce qui peut pousser un individu si jeune à un tel geste ?
Ce que toutes les personnes qui se suicident, quel que soit leur âge, ont en commun, c’est d’être à un moment donné de leur parcours submergées par des difficultés, une souffrance, qui ne sont pas forcément pathologiques mais qui les débordent. Ils se trouvent comme « empêchés » de trouver des solutions alternatives au passage à l’acte. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui la crise suicidaire. L’isolement, la perte de la confiance en soi, une maladie physique ou psychique, l’échec scolaire, des humiliations subies, font partie des facteurs qui exposent à un risque plus important de suicide. Ces vécus peuvent être masqués, ou leurs manifestations peuvent être mal décodées par un entourage qui a du mal, on le comprend, à imaginer qu’un enfant aussi jeune traverse de telles difficultés.
L’impulsivité, si fréquente chez les enfants, est un facteur supplémentaire, et qui contribue à rendre le passage à l’acte encore plus imprévisible.

Le Pr Jean-Philippe Raynaud interrogé sur le suicide de l’enfant

Quels signes avant-coureurs peuvent alerter la famille ?

Les parents connaissent très bien leur enfant. Ils vont donc en général s’alerter à bon escient s’ils repèrent un changement dans son comportement, dans ses attitudes, ses investissements, sa façon de parler de lui-même, de ses relations. Quand ils sont en crise suicidaire, il arrive que les enfants envoient des « méta-messages » : des insinuations, des phrases suspendues, des questions témoignant plus ou moins directement de leurs préoccupations autour du suicide ou de la mort, des prises de risque, etc. Tout en tenant bien sûr compte de l’âge de l’enfant et du contexte dans lequel il évolue, ces messages doivent toujours être entendus, pris au sérieux. Mieux vaut s’alerter « pour pas grand-chose », que de laisser passer une opportunité d’ouvrir un échange et de désamorcer un processus en train de s’installer.

Mais les parents ont parfois du mal à évoquer le mal-être de leur enfant…
Il faudrait faire évoluer certaines représentations : demander de l’aide à un « psy » ce n’est ni être un mauvais parent, ni avoir un enfant malade mental ; entendre l’inquiétude d’un professionnel de l’école ne doit pas être vécu comme une accusation ou une intrusion, mais comme un souci partagé pour l’enfant. Parler de son inquiétude à son médecin traitant, à une association, aux personnels ressources de l’Education nationale, c’est un moyen de ne pas rester seul dans ces situations inquiétantes et souvent désarmantes.

Pourquoi la question du suicide chez l’enfant demeure si tabou dans notre société ?

Le suicide est lié à des représentations et des idéologies très anciennes, très ancrées dans l’histoire de l’humanité, influencées par les cultures, les croyances, les religions, les peurs… Les idées reçues sur le suicide sont constituées d’un mélange de honte, de culpabilité, de peur, d’interdits : tout cela ne facilite ni l’échange, ni la réflexion. Quand le suicide concerne des enfants, la situation est encore plus sensible, plus complexe, « impensable » au sens de difficile à penser, donc à repérer.
Pour pouvoir améliorer la prévention du suicide chez l’enfant, il faudrait effectivement que les parents, mais aussi les professionnels de l’enfance, puissent penser le risque, rester ouverts aux petits signaux qui sont envoyés par les enfants, être confiants dans le regard que les autres vont porter sur eux, sur leur enfant et dans l’aide qu’ils vont pouvoir trouver. Dans ce domaine, les médias pourraient jouer un rôle majeur.

Propos recueillis par Paulina Jonquères d’Oriola

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